Section clinique de Strasbourg

Institut du Champ freudien    Sous les auspices du département de psychanalyse de l'Université Paris VIII      Direction : Jacques-Alain Miller   Administration : Association Uforca-Strasbourg     Coordination : Pierre Ebtinger          

La Section clinique de Strasbourg a pour but d'assurer un enseignement fondamental de psychanalyse, tant théorique que clinique.

La Section clinique de Strasbourg est administrée par l'Association UFORCA-Strasbourg. 

En tant qu'organisme de formation, UFORCA-Strasbourg a obtenu la certification qualité Qualiopi depuis septembre 2023, pour la catégorie : Actions de formation. Les formation sont dédiées aux professionnels de la santé mentale et aux étudiants e psychologie et en psychiatrie.


Argument Session 2025

La dépression et la question du désir

Désignée comme « le mal du siècle », la dépression est souvent considérée comme une entité, voire comme une maladie en soi. Si cette appellation est facilement utilisée par la communauté scientifique et par le public, le succès de son emploi peut surprendre. Est-ce parce qu'elle recouvre par son ampleur sémantique ce qui plus diversement s'exprime à l'occasion par la tristesse, le chagrin, le désarroi, la douleur morale, le découragement, le burn-out, la lassitude, l'accablement, le cafard ou le marasme ? Est-ce parce qu'elle donne un habillage pudique à des perturbations psychiques plus inquiétantes qui pourraient s'apparenter à la folie ? Ou est-ce encore parce qu'elle trouverait son unité dans un dysfonctionnement cérébral particulier ?

L'usage courant du terme de dépression et l'action thérapeutique des médicaments antidépresseurs sur les symptômes dépressifs contribuent à forger l'image de la dépression comme une maladie spécifique. Cependant, toute enquête clinique orientée par une recherche psychopathologique permet d'opérer des distinctions fécondes tant sur le plan conceptuel que thérapeutique.

La découverte par Freud des psychonévroses de défense, de la névrose obsessionnelle, des caractéristiques psychiques de la mélancolie en regard du deuil ; l'élaboration conceptuelle par Lacan de la forclusion d'un signifiant comme point pivot de la psychose ; l'enseignement de Jacques-Alain Miller sur les affects dans l'expérience analytique : tous ces apports de la psychanalyse donnent de solides repères pour s'orienter dans le champ clinique de la dépression. Il devient alors possible de distinguer la dépression du sujet névrosé où prévaut l'égarement du désir, la mélancolie corrélée à un deuil impossible, la dépression du sujet dit « borderline » face à l'effondrement de ses suppléances ou encore la dépression du paranoïaque dont les certitudes vacillent. Et ces distinctions sont bien sûr précieuses pour orienter le traitement et assurer une stabilisation durable.

Nous lions cette année l'étude de la dépression à celle de la question du désir. Les problématiques du désir sont électivement celles du champ clinique des névroses considérées comme des structures psychiques. Dans le séminaire théorique, notre approche sera donc centrée sur ces dépressions névrotiques, à partir notamment des leçons consacrées par Lacan aux névroses dans son Séminaire Les formations de l'inconscient. Mais nous aborderons aussi les développements les plus récents sur « la position dépressive », notamment à partir du livre de Jean-Pierre Deffieux La clinique du présent, ce qui nous permettra aussi de saisir comment s'articulent dépression et position subjective.

Les entretiens cliniques à l'hôpital et les ateliers clinques par petits groupes nous permettront également de nous enseigner à partir du discours des patients. Un suivi pédagogique par les enseignants et des groupes de travail permettront à chacun de trouver l'appui qui lui convient au cours de sa formation.


Publications du Champ freudien


Qu'est-ce qu'une Section clinique ?

Prologue par Jacques-Alain Miller

Nulle part au monde il n'y a de diplôme de psychanalyste. Et non pas par hasard, ou par inadvertance, mais pour des raisons qui tiennent à l'essence de ce qu'est la psychanalyse. On ne voit pas ce que serait l'épreuve de capacité qui déciderait du psychanalyste, alors que l'exercice de la psychanalyse est d'ordre privé, réservé à la confidence que fait le patient à un analyste du plus intime de sa cogitation.

Admettons que l'analyste y réponde par une opération, qui est l'interprétation, et qui porte sur ce que l'on appelle l'inconscient. Cette opération ne pourrait-elle faire la matière de l'épreuve ? - d'autant que l'interprétation n'est pas l'apanage de la psychanalyse, que toute critique des textes, des documents, des inscriptions, l'emploie aussi bien. Mais l'inconscient freudien n'est constitué que dans la relation de parole que j'ai dite, ne peut être homologué en dehors d'elle, et l'interprétation psychanalytique n'est pas probante en elle-même, mais par les effets, imprévisibles, qu'elle suscite chez celui qui la reçoit, et dans le cadre de cette relation même. On n'en sort pas.

Il en résulte que c'est l'analysant qui, seul, devrait être reçu pour attester la capacité de l'analyste - si son témoignage n'était faussé par l'effet de transfert, qui s'installe aisément d'emblée. Cela fait déjà voir que le seul témoignage recevable, le seul à donner quelque assurance concernant le travail qui s'est fait, serait celui d'un analysant après transfert, mais qui voudrait encore servir la cause de la psychanalyse.

Ce que je désigne là comme le témoignage de l'analysant est le nucleus de l'enseignement de la psychanalyse, pour autant que celui-ci réponde à la question de savoir ce qui peut se transmettre au public d'une expérience essentiellement privée.

Ce témoignage, Jacques Lacan l'a établi, sous le nom de la passe (1967) ; à cet enseignement, il a donné son idéal, le mathème[1] (1974). De l'une à l'autre, il y a toute une gradation : le témoignage de la passe, encore tout grevé de la particularité du sujet, est confiné à un cercle restreint, interne au groupe analytique ; l'enseignement du mathème, qui doit être démonstratif, est pour tous - et c'est là que la psychanalyse rencontre l'Université.

L'expérience se poursuit en France depuis quatorze ans ; elle s'est fait déjà connaître en Belgique par le Champ freudien ; elle prendra dès janvier prochain la forme de la "Section clinique".

Il me faut dire clairement ce que cet enseignement est, et ce qu'il n'est pas.

  • Il est universitaire ; il est systématique et gradué ; il est dispensé par des responsables qualifiés ; il est sanctionné par des diplômes.
  • Il n'est pas habilitant quant à l'exercice de la psychanalyse. L'impératif formulé par Freud qu'un analyste soit analysé, a été non seulement confirmé par Lacan, mais radicalisé par la thèse selon laquelle une analyse n'a pas d'autre fin que la production d'un analyste. La transgression de cette éthique se paie cher - et à tous les coups, du côté de celui qui la commet.
  • Que ce soit à Paris, à Bruxelles ou à Barcelone, que ses modalités soient étatiques ou privées, il est d'orientation lacanienne. Ceux qui le reçoivent sont définis comme des participants : ce terme est préféré à celui d'étudiant, pour souligner le haut degré d'initiative qui leur est donné - le travail à fournir ne leur sera pas extorqué : il dépend d'eux ; il sera guidé, et évalué.

Il n'y a pas de paradoxe à poser que les exigences les plus strictes portent sur ceux qui s'essayent à une fonction enseignante dans le Champ freudien sans précédent dans son genre : puisque le savoir, s'il prend son autorité de sa cohérence, ne trouve sa vérité que dans l'inconscient, c'est-à-dire d'un savoir où il n'y a personne pour dire "je sais", ce qui se traduit par ceci, qu'on ne dispense un enseignement qu'à condition de le soutenir d'une élaboration inédite, si modeste soit-elle.

Il commence par la partie clinique de cet enseignement. La clinique n'est pas une science, c'est-à-dire un savoir qui se démontre ; c'est un savoir empirique, inséparable de l'histoire des idées. En l'enseignant, nous ne faisons pas que suppléer aux défaillances d'une psychiatrie à qui le progrès de la chimie fait souvent négliger son trésor classique ; nous y introduisons aussi un élément de certitude (le mathème de l'hystérie). Les présentations de malades viendront demain étoffer cet enseignement. Conformément à ce qui fut jadis sous la direction de Lacan, nous procéderons pas à pas.

15 Août 1988


[1] Du grec mathema, ce qui s'apprend

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